“Confinement”, le premier festival d’arts urbains confiné et solidaire, livre ses secrets
Raf Urban, street artist pochoiriste, et The Mouarf, co-créateur de Saato Projet, nous dévoilent les coulisses de “Confinement”, le premier festival d’arts urbains confiné, un projet culturel et solidaire qui a permis de lever 87 715 euros au profit de l’AP-HP.
Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
Raf Urban : Je peins dans la rue depuis plus de 20 ans, majoritairement des portraits de femmes métissées, avec la diversité et le vivre ensemble comme thème principal. C’est le témoignage d’une situation personnelle. L’objectif est de passer un message, celui de “Diversity is Hope”, et de susciter ainsi un questionnement dans la rue.
The Mouarf : Je suis issu de l’art urbain et je peins aujourd’hui principalement des portraits en noir et blanc, mais pour les personnes proches, comme mon cercle familial et amical, afin de vivre la peinture comme un moment de partage. J’ai co-créé Saato Projet en 2014, initialement avec MO², qui est parti entre temps, et Issam Khemir. Alessandra nous a rejoints en 2019. Nous sommes organisateurs d’événements d’art urbain et avons à cœur la juste rémunération des artistes dans nos projets.
“Confinement” a été initié par Raf. Comment est venue l’idée et comment Saato Projet l’a t-elle prise en main ?
Raf Urban : J’étais sur mon balcon quand j’ai eu l’idée d’un festival en ligne afin de créer du lien culturel avec les amateurs d’art urbain via les réseaux sociaux. Cela faisait quinze jours que le confinement avait commencé et je ressentais un manque. Nous avons un groupe d’amis sur WhatsApp avec The Mouarf et Alessandra. J’y ai partagé l’idée du festival culturel et Alessandra a eu celle du soutien au corps médical. Il a ensuite suffi de faire appel à la capacité d’organisateur d’événements de Saato Projet pour tout concrétiser.
The Mouarf : Nous avons déterminé le dur du projet car il était important de ne pas s’éparpiller. Nous avons opté pour un format A4 des œuvres dans 85% des cas et pour du contenu culturel en ligne via des lives sur Instagram et Facebook, voulus comme des rendez-vous quotidiens. Une trentaine d’artistes ont réalisé des œuvres en direct. Nous avons eu en tout 208 artistes qui ont rejoint le projet. Il y a eu un effet boule de neige : j’avais envoyé 150 invitations au départ avec un taux de retour incroyable. Lord Urbain y a répondu en à peine quinze heures. Une chaîne solidaire s’est créée entre les artistes. Ami imaginaire par exemple a partagé le projet avec ses amis et nous avons également eu des contacts spontanés, l’occasion d’ailleurs pour moi de découvrir des talents ahurissants. Notre objectif de cagnotte de départ était de 5 000 euros, nous la suivions quotidiennement et Raf a même fait une danse de la pluie quand nous avons atteint les 3 500 euros.
La vente a eu un énorme succès avec son résultat final de 87 715 euros : à quoi est-ce dû selon vous ?
Raf Urban : Pour moi, il est important de comprendre que le festival opère sur deux niveaux, celui de la vente bien sûr mais il y a également un côté social, une dimension humaine. Le festival a permis aux amateurs d’art urbain de se distraire culturellement pendant le confinement. Nous avons recueilli beaucoup de témoignages en ce sens.
The Mouarf : La frustration liée au confinement a en effet été un vecteur de succès. Nous publiions six œuvres par jour avec le parti pris de ne pas annoncer en amont l’artiste ou le visuel, à part pour les œuvres du dernier week-end dont le format était exceptionnel, comme celle d’un mètre par un mètre de Jo Di Bona ou le carnet de confinement de Sandrot qui a été vendu 7 000 euros. J’ai eu des demandes entrantes avant même la publication quotidienne pour ne pas rater des œuvres et ai reçu jusqu’à cent SMS par jour, parfois même de français à l’étranger.
Beaucoup de projets caritatifs en art urbain ont suivi après votre initiative, pensez-vous que cet élan de générosité va perdurer avec la reprise des affaires ?
The Mouarf : Il faut se retrousser les manches pour que cela perdure. Mais surtout, il faut que cela finisse par payer pour les artistes. Les artistes du festival “Confinement” ont tiré la sonnette d’alarme à cet égard. Le projet “Renaissance” de l’association Art’Murs au profit du Secours populaire est parfaite en ce sens car 50% de la vente revient aux artistes qui le souhaitent.
Raf Urban : Les artistes ont toujours eu des actions solidaires, décuplées par la crise du Covid-19. Mais leur souffrance augmente avec la crise justement, il ne faut pas l’ignorer et il faut se tourner vers eux.
Quels sont vos projets actuels et à venir ?
Raf Urban : C’est une période de coup de frein total. Mon solo show à la galerie Lithium et mon projet de fresque dans une école d’Asnières-sur-Seine dans le cadre de l’association PartCours dont je suis membre, sont à recaler, mais je ne me vois pas re-proposer quelque chose quinze jours après ce que l’on a vécu. J’ai besoin d’une transition collective, festive, d’un moment de partage entre artistes et amateurs d’art urbain.
The Mouarf : Nous avions initié le projet Valois dans la station de métro Palais-Royal – Musée du Louvre avant le confinement, dans une galerie créée en 1916 et abandonnée depuis quinze ans. L’objectif était de faire revivre les lieux dans le cadre du Grand Paris avec un traitement pictural classique. Nous avons eu carte blanche pour une durée de 6 à 7 mois et avons rassemblé un line-up de douze artistes urbains internationaux, dont Andrea Ravo Mattoni et Vesod. C’est un projet maudit en quelque sorte car il avait démarré en décembre 2019 et les grèves l’ont interrompu une première fois. La galerie a pu être rouverte le 6 mars dernier et le confinement est arrivé. Quant au festival d’art urbain “Underground Effect” qui a lieu tous les ans en septembre à la Défense, avec en moyenne 80 000 visiteurs, nous sommes en ballotage favorable, mais on nous a demandé de revoir le line-up en ne gardant que des artistes européens, voire 100% français. Nous avons également reporté “Gravity”, le premier festival graffiti écologique co-créé par Jonk (photographe d’urbex) et Projet Saato, en partenariat avec la Fondation Good Planet de Yann Arthus-Bertrand, en mai 2021 au lieu de juin 2020.
Les mots de la fin : quels sont ceux qui vous viennent à l’esprit par rapport à la situation actuelle de l’art urbain en cette période si particulière ?
Raf Urban : Prudence, réactivité, collectif.
The Mouarf : Incertitude, avenir, implication. L’art a toujours été là et sera toujours là, on ne peut pas faire sans.
Retrouvez Raf Urban sur Facebook et Instagram.
Retrouvez Saato Projet sur leur site et sur Instagram.
Propos recueillis par Barbara Legras
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